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Table ronde: tendances en e-commerce


“Le pic de croissance de l’e-commerce est encore très loin”

 

Quelle direction prend l'e-commerce? Et comment les principaux acteurs de ce secteur évoluent-ils? Les participants à notre table ronde éclairent les tendances les plus marquantes et la façon ils y répondent et les anticipent. “Un service optimal commence par une parfaite compréhension des besoins et des exigences du client et par une réaction adéquate à ces besoins.”

Comment l’e-commerce a-t-il évolué ces dernières années? Et quels sont les principaux constats à en tirer pour Coolblue?

Daphne Smit, CFO de Coolblue: “Depuis plusieurs années, nous observons une nette évolution du comportement des clients, qui ont basculé de l'achat hors ligne vers l'achat en ligne. Le marché de l’e-commerce est en croissance partout dans le monde, y compris en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, les trois pays sur lesquels nous nous focalisons. La confiance des clients est elle aussi en hausse. Au début, les gens étaient parfois surpris que leur commande soit effectivement livrée le lendemain. Désormais, ils exigent un service rapide. Chez Coolblue, les clients reçoivent leurs produits le lendemain pour autant qu’ils commandent avant 23h59. C’est un vrai confort que nous leur offrons.”

Roel Gevaers, professeur spécialiste de l’e-commerce à l'université d'Anvers: “En 2007, j'étais le seul chercheur belge qui se concentrait à plein temps sur ce qu'on appelle le last mile lié à l’e- commerce. Aujourd'hui, lorsque je parle aux étudiants du temps où l'achat en ligne n'existait pas, ils s'étonnent. Pourtant, les achats à distance ne sont pas nouveaux: 3 Suisses est là depuis des décennies, même si les services sont différents. À mes yeux, Zalando est le 3 Suisses actuel, rehaussé d’une sauce IT bien contemporaine.”

 

Quel a été l'impact du coronavirus sur les ventes en ligne?

Kathleen Van Beveren, CEO e-Logistics Eurasia chez bpostgroup: “La pandémie a dopé la croissance de l’e-commerce. Nombre de petits magasins et de commerçants locaux se sont tournés vers le commerce électronique, une tendance qui ne risque pas de changer. Nous ne pouvons tout simplement pas imaginer un détaillant sans activités en ligne! Quiconque ne tire pas parti de cette possibilité en tant que détaillant se tire une balle dans le pied.”

Roel Gevaers: “Voici deux ou trois ans, la Belgique accusait un certain retard sur les Pays-Bas en termes d’e-commerce et de volumes de colis; avec la pandémie, nous l’avons rattrapé. De plus, les rythmes de croissance de l'e-commerce pendant les confinements étaient souvent plus soutenus en Belgique qu'aux Pays-Bas. Et plus généralement, c'était aussi le cas pour les produits non standards et les gros articles tels que les barbecues, les meubles de jardin, les trampolines. Des choses que le consommateur belge avait beaucoup moins l'habitude d'acheter en ligne.”

Daphne Smit: “Pendant les confinements, de nombreuses personnes ont été contraintes de faire leurs achats en ligne. Nous avons vendu quantité d'appareils électroniques à usage domestique, tels que des ordinateurs portables, des webcams et des claviers. Mais aussi des équipements pour garder la forme – comme les montres de sport – et des appareils domestiques: machines à pain, lave-vaisselle, etc. Lorsque les magasins physiques ont été autorisés à rouvrir, les ventes en ligne ont continué. On note vraiment un changement structurel dans le comportement des clients.”

 

Daphne Smit

Depuis plusieurs années le comportement du client bascule de l'achat hors ligne vers l'achat en ligne. Le marché de l'e-commerce est en pleine croissance dans le monde entier.

Daphne Smit
CFO Coolblue

 

Si le coronavirus a soutenu la tendance à acheter en ligne, la pandémie a perturbé les chaînes de distribution et d'approvisionnement dans le monde entier. Quel est le juste équilibre?

Daphne Smit: “Tout le monde est plus conscient de l'existence de la chaîne d'approvisionnement, ainsi que des régions, pays et continents d'où les produits proviennent. Bien sûr, certaines pénuries sont apparues dans le monde – celle des puces, par exemple. Ce qui ralentit la production de voitures, d'ordinateurs portables, de consoles de jeux et d'autres catégories de produits. Mais jusqu'à présent, cette tendance temporaire n'a en rien perturbé ni ralenti la progression de l'e-commerce.”

Kathleen Van Beveren: “Les envois – souvent de produits bon marché – en provenance d'Asie se sont effondrés. Cela s'explique par le fait que les conteneurs issus de cette région sont devenus sept fois plus chers. Mais aussi parce que, depuis le 1er juillet 2021, l'exonération de TVA sur l'importation de biens d'une valeur inférieure à 22 euros a disparu. Cela signifie que les consommateurs doivent payer la TVA sur tous les produits importés. Les colis en provenance de Chine, autrefois moins chers, sont donc nettement plus coûteux et font davantage face à la rivalité des produits locaux en termes de rapport qualité-prix.”

 

L’e-commerce va-t-il continuer à croître ou le pic est-il en vue?

Kathleen Van Beveren: “Les Belges font actuellement 15% de leurs achats en ligne. Aux Pays-Bas, ce taux est d'environ 18%. On le voit, il reste une marge de croissance. Aux États-Unis et en Chine, cette part ressort à environ 24%! Dans un pays comme la France, qui pointe à 9% d'achats en ligne, l’e-commerce est appelé à se développer fortement. C’est pourquoi bpost s'attend à ce que cette croissance se poursuive dans les années à venir. Une stabilisation voire un léger déclin est possible, vu la situation géopolitique et l'inflation. Mais nous continuons de miser sur une croissance à long terme.”

Daphne Smit: “Nous pensons nous aussi que le sommet n'est pas encore en vue, à ceci près que les pays et régions d'Europe grandiront davantage, de concert. L’écart entre la Flandre par exemple, où davantage de personnes achètent en ligne, et la Wallonie va probablement se réduire. La particularité de l’e-commerce en Belgique et aux Pays-Bas, c'est la densité de population. Nous sommes des pays mais aussi des métropoles densément peuplées: c'est idéal pour le commerce en ligne, car les colis peuvent aisément et rapidement parvenir à tout le monde. Commandé aujourd'hui, livré demain: c'est parfaitement possible chez nous.”

Roel Gevaers: “Selon la catégorie de produits envisagée, l’e-commerce va certainement continuer à se développer. Dans le segment de l'alimentation et des produits frais, notamment, il reste un fort potentiel de croissance du marché, ainsi que dans d'autres niches spécifiques. En revanche, les pourcentages de croissance de 200 à 300%, comme lors des confinements, appartiennent au passé.”

 

Roel Gevaers

L’e-commerce va certainement continuer à se développer. En revanche, les pourcentages de croissance de 200%, comme lors des confinements, appartiennent au passé.

Roel Gevaers
Professeur en e-commerce à l'université d'Anvers

 

Comment le comportement et les attentes de l'acheteur en ligne ont-ils évolué ces dernières années? Et qu'est-ce que le client considère comme essentiel désormais?

Roel Gevaers: “C'est le consommateur qui choisit où, quand et comment il veut acheter et recevoir des produits. Si la boutique en ligne A ne propose pas un produit, celui-ci peut être trouvé en quelques clics dans la boutique en ligne B. Il en va de même pour le prestataire de services logistiques. Si l'entreprise de transport de colis A n'est pas en mesure d'offrir le bon service, le client se tournera rapidement vers l'entreprise de transport de colis B. Les ventes en ligne exercent donc une pression sur les commerçants locaux et sur les entreprises de transport de colis et de courrier. Le consommateur lui-même est aux manettes. En revanche, je constate toujours une grande uniformité dans les prix et les services des colis. En tant qu'économiste, je trouve remarquable qu'un colis livré à Anvers ou à Bruxelles coûte le même prix qu'un colis livré au milieu d'une forêt. Et le fait que le consommateur habitant dans cette forêt puisse le recevoir le lendemain à ce prix est encore plus remarquable. Sur d'autres continents, c'est moins courant et il y a beaucoup plus d'options et de choix de services à des prix différents.”

Daphne Smit: “Nous ne sommes pas qu'une entreprise d'e-commerce: nous proposons des solutions en ligne et hors ligne, dans nos magasins physiques. L'intégration du commerce électronique et des magasins est de plus en plus importante pour les clients. Pour certains produits, les clients se contentent de les voir sur un écran puis de les commander. Pour d'autres, comme les téléviseurs et les machines à café, ils préfèrent les voir ‘en vrai’ et les tester. Et ils ont besoin de poser des questions à un spécialiste, comme dans nos magasins. C'est pourquoi nous augmenterons le nombre de magasins physiques en Belgique dans les années à venir.”

Kathleen Van Beveren: “bpost s'en tient lui aussi à la combinaison du numérique et du physique. Nous sommes conscients que les clients veulent être guidés dans leurs choix d'achat, même lorsqu'ils effectuent des achats numériques. Auparavant, les sites Web ne présentaient que des photos de produits. Aujourd'hui, il existe des chatbox humains et automatisés auxquels les clients peuvent s'adresser pour obtenir des conseils. Sur le marché des cosmétiques, par exemple, des outils analysent le type de peau des clients via une webcam. Autant de solutions qui permettent aux boutiques en ligne de créer un service plus personnalisé et de diversifier leur gamme de produits. Et les consommateurs attendent la même qualité pour le service après-vente, avec des options de retour faciles et des conseils en cas de problème.”

 

L'avenir est-il aux grands opérateurs d’e-commerce? Ou les boutiques en ligne plus petites, plus spécialisées ou locales vont-elles gagner en importance?

Kathleen Van Beveren: “Nous prévoyons un nouvel essor de ces deux facettes de l’e- commerce. Si les grands acteurs continuent de gagner des parts de marché, il reste malgré tout un marché d’envergure pour les opérateurs de niche. Aux Pays-Bas, par exemple, il existe une boutique en ligne spécialisée dans presque tous les produits imaginables, des planches de bois aux fleurs en passant par les aiguilles à tricoter. Elles proposent fréquemment une gamme unique que vous pouvez difficilement trouver ailleurs. Leurs volumes de vente sont peut-être plus faibles mais cela n’empêche pas ces petits acteurs de revendiquer leur place sur le marché.”

Daphne Smit: “Les grands opérateurs peuvent en effet atteindre un public beaucoup plus large et ont plus de poids financier pour investir massivement. Ceci dit, les acteurs locaux peuvent obtenir un excellent parcours client sur un terrain de jeu géographique plus restreint. Un vendeur local de lave-linge n'a peut-être pas un check-out en ligne aussi convivial que celui de Coolblue, avec un créneau horaire pour la livraison et un planificateur d'itinéraire, mais il peut avoir une relation tout aussi personnelle avec ses clients parce qu'il les appelle au téléphone, par exemple.”

Roel Gevaers: “C'est là que la puissance des chiffres et des volumes entre en jeu. Il est utopique de penser que les petits acteurs locaux peuvent être moins chers que les grandes multinationales. Mais offrir des services différents et meilleurs, ça, c'est possible.”

 

Quel rôle les prestataires de services jouent-ils dans la chaîne de l’e-commerce? Les boutiques en ligne externaliseront-elles plus largement ces activités à des entreprises comme bpostgroup ou les prendront-elles en main?

Kathleen Van Beveren: “Les clients nous choisissent pour notre spécialisation. Nous avons des années d'expérience en logistique et un savoir-faire dont bon nombre d'entreprises sont dépourvues. Les entreprises à croissance rapide souhaitent souvent se concentrer sur leur cœur de métier et leur croissance et externaliser leur logistique. D'autres sociétés, à l’inverse, préfèrent prendre elles-mêmes en charge tout ou partie de leur logistique. Dans le domaine de l'e-commerce, la qualité des processus logistiques est liée à la satisfaction et à la confiance des clients. Une livraison correcte et ponctuelle a un impact direct sur l'image d'une entreprise et sur la façon dont les clients la perçoivent.”

Daphne Smit: “Chaque étape de la chaîne logistique est en effet importante. Nous faisons beaucoup de choses nous-mêmes, dans la logistique comme dans d'autres domaines. Nous avons notre propre service clientèle en Belgique, où travaillent des néerlandophones et des francophones. Nous n'externalisons pas cette activité parce que nous voulons que la boucle de rétroaction avec le client soit aussi courte que possible, et parce que cela nous permet de mieux comprendre le client et de l'aider plus rapidement. Nous en tirons énormément d'enseignements.”

Roel Gevaers: “Les multinationales croient fermement aux négociations sur les prix. De grandes entreprises étudient les possibilités de livrer elles-mêmes – ou par le biais de joint-ventures – certains volumes, et s'en servent comme d'un levier pour imposer de meilleurs tarifs aux entreprises de transport de colis. Il s'agit d'une tendance internationale claire. Amazon le fait de plusieurs manières. Bol.com sollicite un coursier à vélo et place des casiers Budbee dans ses magasins Ahold. Budbee a à son tour des actionnaires comme H&M et est lié à Zalando par une structure. Et ainsi de suite.”

 

Kathleen Van Beveren

Aux Pays-Bas, il existe désormais une boutique en ligne spécialisée pour à peu près tous les produits imaginables.

Kathleen Van Beveren
CEO e-Logistics Eurasia chez bpostgroup

 

La technologie et l'innovation sont deux puissants moteurs de l’- e-commerce. L'initiative revient-elle ici aux commerçants ou aux prestataires de services logistiques?

Daphne Smit: “Tous les opérateurs du marché de l’e-commerce peuvent prendre l'initiative. Bien entendu, innover pour le plaisir d’innover n'assure qu'une faible valeur ajoutée. La technologie doit avant tout apporter un plus. Coolblue, par exemple, dispose d'un outil précieux dans le parcours client de la télévision: les clients peuvent découvrir, via une application de réalité augmentée sur leur smartphone, ce que donnerait le placement de tel ou tel appareil dans leur chambre. Ils sont donc assurés de commander un téléviseur parfaitement adapté en termes d'apparence et de dimensions. Ce qui dope la satisfaction du client et la probabilité d’un bon choix. Ce système est aussi plus efficace pour nous: la proportion de retours est plus faible. Et, partant, la logistique plus durable.”

Roel Gevaers: “Tous les maillons de la chaîne doivent innover et prendre des initiatives. Or, c'est généralement là que le bât blesse en Europe. Nous avons tendance, sur le Vieux Continent, à nous observer les uns les autres et à attendre qu'une autre partie prenne l'initiative. En fin de compte, ce sont les entreprises de la Silicon Valley et du continent asiatique qui se taillent la part du lion et construisent d’immenses écosystèmes. Tous les maillons de la chaîne doivent réfléchir ensemble plutôt que de se contenter de s'attendre les uns les autres.”

Kathleen Van Beveren: “bpostgroup relève pleinement le défi de l'innovation. Qu'il s'agisse de processus de tri automatisés, d'étapes robotisées dans le flux logistique, de livraisons sur le dernier kilomètre à l'aide de véhicules électriques ou de solutions écologiques telles que les distributeurs de colis, nous nous engageons en faveur de la technologie intelligente dans l'ensemble de nos activités et de nos départements.”

 

Quel est le rôle des données dans ce contexte? Comment gérez-vous cet aspect?

Daphne Smit: “Les données peuvent nous aider à comprendre le parcours client, à découvrir ce que le client veut améliorer, puis à y travailler. Cela n'est possible qu'avec une mesure précise de ce sur quoi les clients cliquent et de ce qu'ils recherchent. Ainsi nous pouvons adapter encore plus habilement notre gamme de produits aux exigences des consommateurs. Si les ordinateurs portables pour le gaming font soudain l'objet de nombreux clics, nous pouvons créer des filtres et du contenu avec des conseils d'achat et de choix en conséquence. Il n'y a pas de solution unique pour nous; les données nous aident à mieux comprendre le client et à l'aider de façon plus personnalisée.”

Roel Gevaers: “Les données sont souvent un stimulant formidable pour les innovations dans le domaine du commerce électronique et pour l'optimisation de la logistique associée. Une stratégie de données intelligentes permet de réaliser d'énormes gains d'efficacité, sur le plan tant financier qu'écologique. Dans mes cours, je dis toujours que les entreprises de l'écosystème qui disposent de bonnes données savent à l'avance quand un consommateur va acheter du papier toilette, du café, de la nourriture pour chiens, mais aussi de l'électronique. Si vous liez ces éléments à tous les aspects de la chaîne d'approvisionnement, à la fois en amont et en aval, en termes de stocks comme de marketing, en tant qu'entreprise vous jouerez sur du velours.”

Kathleen Van Beveren: “Les clients sont nos meilleurs baromètres. Ils nous indiquent constamment ce qu'ils veulent, ce qui va bien, ce qui pourrait être amélioré, etc. Mais nous voulons aussi que nos clients – dont de nombreux détaillants – soient informés en temps réel de chaque étape de leur processus logistique via un système unique. Cela n'est possible que par le biais d’un traitement intelligent des données et de l'intégration avec des systèmes partenaires. Et grâce aux données, il est possible de prévoir le comportement du marché: lorsqu'il pleut durant la Coupe du monde de football, le comportement d'achat des clients est différent de celui qui prévaut lorsque le soleil brille. Chaque entreprise peut se concentrer sur la collecte et l'analyse des données et les exploiter pour optimiser ses propres processus.”